Que me veux-tu ? La mort et les poètes

À l'occasion de la semaine des soins palliatifs, lecture ouverte de poèmes sur les thèmes de la mort, du deuil et de la fin de vie. Chacun est invité à venir lire des textes qui lui tiennent à cœur, accompagné par les improvisations de Frédéric Modine au piano.

Librairie Le vers libre, Clisson – vendredi 13 octobre à 20h.

 

Qu'a à faire la poésie dans l'univers des soins palliatifs, qui ne connaît que la souffrance sans espoir et les cautères de tuyaux ? Quelle place peut-elle encore réclamer quand de vie il n'y a plus qu'entre les cordes tendues par l'appareillage médical et chimique ? Ce serait pourtant leur faire un bien mauvais procès que de ne pas leur reconnaître l'appartenance à un même monde, et le partage de valeurs communes.

 

On sait, par l'application de la T2A, tout acte de soin rendu à sa valeur marchande. Dans le meilleur système de santé français du monde, selon l'avis de ses fossoyeurs, les patients sont d'abord les éléments de base d'un flux d'activité qu'il s'agit de gérer à travers des procédures, garantes non pas tant de la qualité du soin que de sa productivité. Dès lors, quoi de plus urticant à cette positive rationalisation du soin que l'être parvenu au terme de sa vie, abandonnant tout pour ne plus apparaître qu'en sa qualité de personne singulière, et par là même arrachant le soin à sa dépersonnalisation marchande. Quand il relève du palliatif, tout acte de soin devient expérience singulière. Se dessine alors une correspondance avec ce dont se revendique le poème en tant qu'acte de langage : parole unique relevant du frottement de l'expérience avec l'incommunicable. Pour le dire avec les mots d'Alain Badiou : « Cette chose qu'il est impossible de dire […] je fais silence pour la dire, pour séparer du monde qu'elle soit dite, et toujours redite pour la première fois. » Ainsi pourrait-il en être de l'acte de soin en phase palliative, quoique répété d'un malade à l'autre, toujours exécuté pour la première fois.

 

À une idéologie selon laquelle l'être humain ne saurait dépasser son horizon économique, les soins palliatifs opposent l'homme tragique, digne d'être accueilli dans son ultime vulnérabilité, et à qui l'on ne doit pas tant technique, efficacité et performance, qu'humanité. Bref, on en revient au poème, l'acte par lequel le sujet se fait garant de l'humanisation du monde.

 

On ferait bien des découvertes à explorer les valeurs que défendent parallèlement soins palliatifs et poésie, comme, pour n'en citer qu'une, la riche idée selon laquelle à côté du savoir académique, sanctionné par un enseignement, un autre savoir importe, qui n'est pas celui de la connaissance des objets, du monde réduit à sa dimension d'objet de connaissance, mais d'une attention à l'être comme échappant aux coordonnées de toute objectivation.

 

Il n'y a sans doute pas lieu de s'étonner plus que ça de ces rapprochements, car on n'ignore pas que la mort est un des sujets favoris des poètes, à moins qu'elle ne soit l'arrière plan de tous les poèmes, « lisières » entre l'être et le non-être nous dit Michel Leiris, ou encore, selon Patrick Chamoiseau, saisissements de « l'impensable ».

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